Bobo-didactisme et ronds dans l'eau

Publié le par anima

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©  Marc Roels et son gros bébé sur le tournage de Oh Willy, co-réalisé avec Emma de Swaef - Tous droits réservés

J'ai été très déçu par l'exposition "Motion Factory" (Gaîté lyrique, Paris, avril-août 2014).


Donner à croire que le cinéma d'animation autoproclamé "indépendant" relèverait d'un artisanat de prestidigitateurs surdoués, partisans du do-it-yourself et totalement dévoués à leur cause, est fallacieux. Tout comme induire l'idée sous-jacente selon laquelle un peu d'huile de coude, quelques "heureuses heures" et beaucoup de créativité suffiraient à faire de bons films. C'est pourtant cette vision infantilisante que donne à voir la scénographie de cette exposition résolument parisienne (avec tout ce que ce terme peut avoir de péjoratif).
Le corpus filmographique des œuvres citées en exemple -
à quelques rares exceptions - paraphrasait remarquablement cette approche biaisée. Constitué d'une majorité de films de commandes bénéficiant de budgets très confortables, l'ensemble se focalisait sur
l'apparente innovation visuelle de ces courts métrages en masquant bien mal leurs énormes faiblesses narratives et la vacuité de leur propos artistique. Figure canonique de cette forme d'animation "bobo-publicitaire" condamnée au consensus mou : la variation édulcorée à l'extrême sur un sujet sociétal politiquement inoffensif (ultra-moderne solitude, greenwashing, scientisme), sur fond de chanson mielleuse revisitant un tube pop-rock mélancolico-dégoulinant de très mauvais goût.

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L'affiche de "Motion Factory" illustrait parfaitement le dilemme de la corporation en mal de reconnaissance des motion designers qui n'assument qu'à demi-mot d'être au service presque exclusif de communicants ayant compris quant à eux depuis longtemps que l'animation est un mode d'expression spectaculaire et fédérateur autant qu'un "cheval de Troie" prompt à faire passer efficacement des vessies pour des lanternes (magiques !). Voyez cette caméra tout de bois et de plastoc fabriquée, dont la forme et l'enchevêtrement tubulaire renvoient à celle d'une usine de conditionnement, n'est-elle pas le symbole criant d'un contresens révélateur ? Quant au titre, en anglais dans le texte (il sonne bien entendu plus hype que "manufacture de mouvement") superposé à ce visuel régressif évoquant autant les jeux de construction traditionnels qu'une vision tayloriste de la création audiovisuelle, il dissipe tous les doutes. Certainement une maladresse.

Défense d'en rire


Dans le même ordre d'idées, l'invocation d'une "animation tactile", truisme suspect au cœur du propos de cette exposition, amalgame à dessein le sens donné par Jan Svankmajer à son art "tactiliste" né de la censure faite à son cinéma à la fin des années 60 par le régime communiste tchécoslovaque et la dénomination adjugée par raccourci aux fonctionnalités digitales des outils contemporains de diffusion interactive (smartphones, écrans, tablettes, tampons encreurs). Ce brouillage volontaire relève bel et bien de l'imposture destinée non seulement à étiqueter avantageusement la "modernité" d'une pratique ancestrale, mais probablement aussi à mollement l'intellectualiser. La formule pléonastique "animation tactile" est un magnifique spécimen de démagogie de communicants-peu-cultivés (pléonasme pour pléonasme !) ayant parfaitement répondu au cahier des charges de leur commande : coller au label "France Inter" sans faire fuir les reporters décérébrés de TF1.
Sur ce point, le subterfuge des plus grossiers a fonctionné à merveille.


Demi-mesure

Le cinéma d'animation possède cette propriété ontologique de générer une quantité impressionnante de matériaux visuels plus ou moins élaborés qu'il suffit de sélectionner et d'agencer judicieusement pour susciter l'émerveillement face à l'accumulation, l'inventivité, l'abnégation, la "folie" inoffensive de ceux qui les ont consciencieusement fabriqués avec leurs petites mi-mines. Aussi, manquait-il pour parfaire le contenu de cette exposition une section "main à la pâte", comme on dit dans les Inspections académiques, pour se conformer au didactisme de rigueur dans ce type de manifestation qui ratisse large et a besoin pour cela de  la caution "ludo-éducative" pour attirer le challand et sa progéniture.
Ce volet pédagogique était matérialisé par un plateau de tournage rotatif permettant aux visiteurs du soir de s'initier intuitivement à l'image-par-image. Remarquablement bien pensée, l'attraction favorisait à la fois la prise de conscience immédiate du labeur et l'acquisition des données fondamentales inhérentes à la pratique rigoureuse de l'animation (rythme, acting, espace filmique), quelle qu'en soit la technique.

 

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Cependant, que les pédagogues du dimanche de « Motion Factory » aient fait l'impasse sur le langage cinématographique à proprement parler, est franchement problématique. Que l'écriture y fut réduite à sa portion congrue (extraits de storyboards), soit, nous sommes habitués, mais que la mise en scène - porteuse du sens filmique - brillât par son absence au seul profit de démonstrations d'ingéniosité esthétique, ce fût plutôt gênant.
Gênant mais logique, si on place en perspective l'écrasante majorité des courts métrages et vidéoclips
désespérément dépourvus de cinéma qui inondent les canaux de diffusion.
Passe encore un tel manquement au Futuroscope ou à DisneyLand, mais au cœur même d'un lieu qui se dit "référent" en matière d'arts graphiques, c'est moins excusable.


Conclusion un peu longue pour ceux qui peinent à lire plus de 140 caractères

Je ne peux pas terminer ce reportage en forme de billet d'humeur sans exprimer mon étonnement de la non-représentation de la création animée française contemporaine dans l'exposition "Motion Factory". Quelles que soient les raisons de cette lacune, et sans chauvinisme aucun cela va de soi, l'éclairage public et médiatique inespéré que constituait cette initiative parisienne et néanmoins cosmopolite aurait gagné à mettre en valeur la contribution nationale - plus qu'honorable - à cet "art à part entière". Car si on comprend parfaitement au sortir de cette déambulation que la pratique de l'image-par-image est à la portée de tous, qu'elle est accessoirement un vecteur pédagogique à forte valeur ajoutée, et que les jeunes créatifs de l'animation indépendante (lesquels ne sont donc pas français) vivent dans un monde de Bisounours, on n'en sait finalement pas beaucoup plus sur son patrimoine, sur ses ancrages culturels, sur ses relations d'interpénétration avec les autres formes d'art, sur l'état de ses expérimentations d'avant-garde, sur ses enjeux à court terme, voire sur son économie réelle, laquelle, loin d'être un sujet rédhibitoire, ne se résume heureusement pas au bricollage autodidacte ou à la commande formatée. Or c'est tout cela que le grand public, les média et les aspirants à cette discipline, venant prioritairement de l'hexagone, ont besoin de connaître pour cerner et comprendre la considérable importance, passée, présente et à venir, du cinéma d'animation dans la culture et l'économie mondialisées.

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